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Les résultats de notre enquête sur l’écriture inclusive

Par Noémie Joniot

21 Septembre 2022

 

 

Les résultats de notre enquête sur l’écriture inclusive

Le cabinet Taylor River a toujours utilisé l’écriture inclusive pour s’adresser aux candidates et aux candidats. La langue évolue au même titre que la société et ces derniers temps, nous avons reçu certaines remarques nous amenant à nous questionner sur notre utilisation. Il faut se rendre à l’évidence : le sujet ne laisse personne de marbre !

A l’écoute de notre marché, toujours prêtes à nous remettre en question tout en restant engagées sur le sujet de la parité, nous avons décidé de vous donner la parole. C’était important pour nous de mieux comprendre les tenants et aboutissants de ce débat afin d’en tenir compte dans nos communications. Je me suis proposée pour mener cette enquête et je vous en livre ici le résultat et mes analyses.

Les résultats de l'enquête

Nous avons reçu 216 réponses. L’échantillon est en grande partie composées de femmes : 135 femmes, 78 hommes et 3 personnes non-binaires.

 

Les personnes interrogées sont, pour la plupart, âgées de 22 à 57 ans, avec une répartition équitable entre la génération X et la génération Y. Elles sont 81% à être en poste et 19% en recherche d’emploi.

 

Nous avons sollicité principalement des cadres, avec plus d’un tiers des répondants qui occupent des fonctions de direction.

 

Le premier constat est que 62% des personnes interrogées se disent défavorables à l’utilisation de l’écriture inclusive, avec 35% de personnes « farouchement contre ».

 

Si l’on affine l’analyse, on se rend compte que les femmes sont plus mesurées : seule la moitié des répondantes rejettent ce style d’écriture (avec 20% de femmes « farouchement contre »), quand les hommes sont 81% à s’y opposer (58% « farouchement contre »).

Nous avons fait un focus sur l’utilisation de l’écriture inclusive dans le cadre du recrutement. Il est intéressant de voir que la plupart des femmes interrogées (57%) trouvent cette syntaxe pertinente pour améliorer la parité hommes/femmes dans le monde professionnel, alors que les hommes ne sont que 22% à y voir un intérêt.

 

En m’intéressant aux arguments des réfractaires à l’écriture inclusive, je constate qu’on peut les regrouper en quatre catégories principales :   

  • La complexité de lecture, avec des craintes particulières pour les personnes dyslexiques, les personnes malvoyantes (dont les logiciels ne prendraient pas en compte l’écriture inclusive) et les enfants à l’école. Cet argument m’amène à penser que la notion d’écriture inclusive est très souvent réduite au simple point médian (« heureux·se »).
  • L’envie de préserver la langue française, d’éviter un « enlaidissement de l’écriture », cette façon d’écrire étant perçue comme une « absurdité linguistique ».
  • La « futilité » du sujet : beaucoup considèrent qu’il s’agit d’un « faux débat » qui ne fait pas avancer la cause de l’égalité entre les femmes et les hommes : « concentrez-vous sur d’autres sujets plus importants », « l’essentiel est ailleurs et il faut se focaliser sur ce qui est plus prioritaire ».
  • Une interprétation militante ou dogmatique qui génère des réactions vives : « culture woke », « minorité haineuse et inculte », « caprice politique pour une cause à l'origine noble, mais qui dérive vers un ridicule extrémisme », « trop de féminisme tue le féminisme et nous ridiculise », « Faites votre job et arrêtez de croire que vous avez une mission. Ou si tel est le cas ayez une vraie mission ».

Face à de tels résultats, il m’a semblé important de dépassionner le débat en allant chercher un éclairage scientifique.

Quelques études scientifiques

De nombreux travaux de recherche en sciences expérimentales ont été menés sur la question dans plusieurs langues depuis une quarantaine d’années. Ces études montrent notamment qu’il est très difficile pour notre cerveau de gérer l’ambigüité de la forme grammaticale du masculin générique. En voici quelques illustrations.

Quand on rencontre une phrase comme « pour lutter contre la propagation du virus, le médecin de l’hôpital a demandé aux collégiens de se laver les mains le plus souvent possible », notre cerveau doit décider en quelques instants le sens qu’il associe aux termes « le médecin » et « les collégiens » : neutre, masculin ou mixte ? Beaucoup d’études ont montré que l’interprétation spécifique du masculin était spontanée et dominante.

En 2007, Markus Brauer et Michaël Landry ont constaté que lorsqu’ils demandaient à des personnes dans la rue de nommer « Tous les candidats de droite / gauche que vous verriez au poste de Premier Ministre » ou « Vos acteurs/héros/chanteurs préférés », le pourcentage de femmes nommées oscillait entre 15 à 25%. En ajoutant la forme féminine à la question (« Vos héros/héroïnes préférés »), ce chiffre pouvait monter jusqu’à 40%.

En 2008, une étude d’Ute Gabriel a montré que lorsque l’on demande à des personnes d’estimer la répartition hommes/femmes d’une centaine de métiers présentés uniquement au masculin (« les écrivains ») le pourcentage de femmes associées au métier est plus faible que lorsque les métiers sont présentés au féminin et au masculin (« les écrivaines et les écrivains »).

Je vous invite à reproduire ces expériences dans votre entourage pour voir ce qu’il en ressort.

Des études de correspondance[1] réalisées par des neuroscientifiques dans différentes langues ont montré que le cerveau détectait une erreur syntaxique quand une phrase démarrant par du masculin générique se terminait par du féminin comme « les étudiants sont allés à la cantine parce que quelques-unes des femmes avaient faim ».

Ces études révèlent un biais masculin dans la langue française : le masculin générique n’est pas réellement neutre, il pousse généralement notre cerveau à se créer une image mentale masculine.

En poussant la réflexion plus loin, il apparait que ce biais masculin est préjudiciable pour les femmes puisqu’il limite leur capacité à se projeter dans certains métiers, rôles ou sports.

En 2005, une étude d’Armand Chatard réalisée auprès d’adolescentes et d’adolescents a indiqué que les filles se sentaient plus aptes à réussir dans des études destinées à des métiers stéréotypés féminins et que le niveau de confiance dans leur capacité à réussir augmentait quand les métiers étaient présentés au masculin et au féminin (ex : mathématiciens et mathématiciennes).

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande la lecture du livre « Le cerveau pense-t-il au masculin ? » de Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel ou le visionnage la vidéo de Scilabus « L’écriture inclusive a-t-elle un intérêt ? Quelles preuves » qui traitent le thème avec beaucoup de pédagogie, en répertoriant de nombreuses études et en proposant des expériences ludiques. Vous trouverez également une bibliographie à la fin de l’article.

Le parti pris Taylor River

Si je suis honnête, je dois dire que j’étais très sceptique à l’idée de devoir adopter l’écriture inclusive quand j’ai rejoint Taylor River en 2019. Je trouvais l’utilisation du point médian fastidieuse et peu esthétique à lire. Cela dit, j’étais convaincue par l’objectif d’inclure les candidates en les aidant à se projeter et je me suis donc prise au jeu.

L’écriture inclusive ne se résume pas aux formes abrégées comme le point médian, elle propose de nombreuses autres possibilités pour dépasser ce biais masculin évoqué plus tôt et redonner une place au féminin. En voici quelques-unes :

  • La féminisation (ou plutôt re féminisation) de la langue française. Depuis le Moyen-Âge jusqu’au XVIIème siècle, le vocabulaire et la grammaire permettaient une représentation équitable entre le féminin et le masculin. Ainsi, les noms de métiers ou d’activités existaient aussi bien au masculin qu’en version féminine : mairesse, doctoresse, médecine, écrivaine, autrice… La grammaire offrait également une meilleure parité entre les genres grâce à une variété de règles d’accord : l’accord de proximité qui consiste à accorder avec le genre du mot le plus proche (« les hommes et les femmes étaient heureuses ») ou l’accord de majorité qui consiste à accorder avec le mot qui exprime le plus grand nombre (« les femmes et le chien se sont promenées »). C’est au XVIIème siècle avec la création de l’Académie Française que le masculin est décrété « plus noble », ce qui conduit à une vague de masculinisation de la langue : suppression des formes féminines des noms de métiers, masculinisation des termes épicènes (ministre, juge, commissaire…), remplacement du pronom neutre « ça » par le pronom « il » (ex : « il pleut » au lieu de « ça pleut »), etc.
  • Les termes épicènes : ce sont des termes qui s’expriment de la même façon au masculin ou au féminin comme « personne », « membre du corps professoral », « élève », « responsable » … Les formes épicènes permettent de ne pas induire de représentation genrée.
  • Les doublets (ou double désignation) : cela consiste à désigner explicitement les hommes et les femmes en accolant les formes masculines et féminines d’un même mot, par exemple « les candidats et les candidates », « Françaises, Français », etc.
  • L’ordre de mention : il a été déterminé que l’ordre dans lequel deux termes sont mentionnés n’est pas anodin. On a tendance à spontanément nommer en premier l’entité qui est la plus importante à nos yeux. Si vous prenez l’exemple de la sphère privée, vous vous rendrez certainement compte que vous nommez toujours de la même façon vos couples d’amis : la personne qui vous est la plus proche en premier, puis son conjoint ou sa conjointe. L’ordre de mention ayant donc toute son importance, il peut être intéressant de nommer le féminin avant le masculin pour rendre les femmes plus visibles et les aider à se projeter.

S’il nous apparait évident à la lecture des résultats de notre enquête que l’utilisation du point médian est clivante, les études scientifiques confortent notre conviction qu’il est important de féminiser le langage si l’on veut que les femmes se sentent aussi légitimes que les hommes pour postuler à nos offres, notamment sur les postes de direction.

Nous avons donc décidé de ne plus utiliser le point médian dans nos communications mais d’avoir recours à tous ces autres outils de l’écriture inclusive pour que les femmes et les hommes qui nous lisent puissent se projeter tout en conservant un confort de lecture optimal.

C’est notre façon de combiner un engagement qui nous est cher avec vos avis et préoccupations.

 

[1] * Une étude de correspondance vise à évaluer la cohérence perçue entre deux morceaux de phrase via l’analyse de certains paramètres comme l’activité électrique du cerveau ou le temps de lecture. Par exemple, si je vous demande d’associer les phrases « pour l’anniversaire de ma fille, j’ai fait un gâteau » et « j’ai mélangé du chocolat, du beurre et du sable », votre cerveau marquera un pic d’activité en lisant « sable » puisqu’il n’est pas logique de mettre du sable dans un gâteau.

 

Bibliographie

« Le cerveau pense-t-il au masculin ? » de Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel

https://www.youtube.com/watch?v=url1TFdHlSI

https://shows.acast.com/parler-comme-jamais/episodes/ecritureinclusive-pourquoitantdehaine-

https://theconversation.com/ecriture-inclusive-un-premier-bilan-de-la-controverse-147630

https://www.bunkerd.fr/ecriture-inclusive/

https://pastebin.com/nKbnegY1

https://www.antidote.info/fr/blogue/enquetes/redaction-inclusive

https://www.liberation.fr/debats/2018/10/17/rendons-le-feminin-a-la-langue-francaise_1686078/

https://lirecrire.hypotheses.org/571

https://youtu.be/yVPYBreuMgA

 

 

 

 

 

 

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